8 août 2013

À un cheveu du désespoir

Un brushing, une coupe, des mèches, une teinture, des rallonges.

En chignon savamment négligé, lissés, frisés, en lulus ou en queue de cheval.

Les cheveux sont les continents où se réfugient toutes nos extravagances.

Visez ces crinières chatoyantes, luxuriantes comme une forêt amazonienne, des tignasses qui chatouillent le désir des hommes et provoquent parfois même des embouteillages. 

Déchiffrez le baromètre de nos humeurs, le « Bad hair day  » et vous saurez décliner l’état mental de toutes celles qui sont si tristes que même leurs cheveux se déglinguent. 

Évitez celles qui ont la mèche courte, pompées pour un oui ou pour un non.  

Traversez le temps en reluquant les quinquagénaires nostalgiques qui ont gardé le même style depuis qu’elles ont 16 ans.

Admirez la main amoureuse de l’homme qui plongent dans la chevelure de celle qu’il aime.

Ou cette autre qui torture une mèche en l’enroulant comme une bobine du bout d’un doigt.

Un mohawk de punk, un toupet bleu stroumph, une permanente  bouclée serrée. 

La féminité se chante sur des notes bien différentes.

Et moi, j’ai vécu l’automne pendant lequel les couleurs d’un arc-en-ciel allumé en permanence dans mon firmament sont mortes les unes après les autres. 

La chimiothérapie a tué mes cheveux lentement mais sûrement.  Fini l’effusion des mèches folles.  Mon visage s’est auréolé d’un balai rêche.

Femme-marguerite, je prenais de petites couettes et je m’effeuillais dans un silence troublant.  J’ai même fait peur à ma filleule en lui tendant un petit bouquet de crins.

Puis un jour, on a tout rasé.  J’avais encore heureusement mes seins avec l’infime marque d’une griffe, celle du cancer.  Mais je n’avais plus de cheveux. 

Et  je me suis vue disparaître. 

Combien de fois ai-je fait sursauter les gens autour de moi en retirant ma tuque?  Un soupçon de peur indicible passait alors comme un nuage que je chassais avec un grand rire.  « Cancer! »,  disais-je en pointant mon drôle de « hairdo ».  « Je vais bien! », rajoutais-je comme pour écarter le voile de la mort qui flottait encore. 

Je me revois, triste comme une prisonnière en Sibérie, abreuvant le lavabo d’une crise de larmes digne des chutes Niagara.  Je faisais peur au monde…N’est-ce pas là la plus grande pénitence d’une femme à l’égo gavé au fil des années?

Pendant cette longue traversée du désert, je n’ai cependant jamais cessé de m’aimer.  Je me suis promis de revenir plus forte et moins obsédée par mon image. 

J'ai même échangé de fermes poignées de mains après des entretiens professionnels pour me retrouver un emploi.  Power kit et crâne rasé...Je ne saurais vous dire l'effet sur les employeurs potentiels!


Mes cheveux ont repoussé.  Je les aime comme ils sont :  courts et retroussés, doux comme le lichen qui envahit les pierres.  Ma routine-beauté ne doit pas excéder 5 minutes top chrono.  Mais mon sourire lui doit reluire longtemps, autant que mes robes à paillettes.  C’est l’éclat de la vie qui m’anime, l’appétit vorace qui j’espère ne que quittera plus jamais.

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