29 mars 2013

Journal d’une résurrection


Quelle sensation enivrante lorsque je zappe d’une main et je tiens le volant d’une autre alors que soudain, je tombe sur la station de radio qui joue "ma" toune.

You shoot me down
But I won’t fall
I am titanium
You shoot me down
But I won’t fall
I am titanium, I am titanium…  (David Guetta/Sia)

Et là, bien calée dans le siège derrière mon volant, je cours dans ma tête.  Je m’envole sur les trottoirs sexy aux craques bien apparentes.  Le soleil s’accroche sur mon corps, barbouille des couleurs chaudes sur mon front.  Je n’ai plus mal aux os, "sticks and stones may break my bones… I’m bulletproof".   Mon souffle m’apaise, mon cœur bat la mesure.  Les ambulances de la ville brûlent les feux rouges en hurlant furieusement et je les regarde passer avec indifférence.  Je foule le ciment, la boue, le gazon, reste suspendue au dessus d’un trou d’eau, retombe avec grâce alors que je cours, je cours vers ma nouvelle vie.  Je m’essouffle un peu, si peu.  Les passants que je croise s’étonnent du sourire géant qui clignote comme un panneau réclame sur mon visage épanoui.  L’air est bon, je le bois goulûment.  



J’arrive à un escalier qui semble s’étirer jusqu’au premier étage du ciel, pas très loin des nuages.  Je l’attaque en riant pour le débouler aussi vite et le reconquérir à nouveau.  Die Atzen Frauenarzt & Manny Marc s’empare de mon Ipod et martèlent un beat aussi démentiel que débile dans mes oreilles.

DISCO POGO, dingelingeling, dingelingeling.
Alle Atzen sing'n
DISCO POGO, dingelingeling, dingelingeling.
Alle Atzen sing'n

La douleur matraque un peu mes cuisses mais je tiens bon.  Est-ce le printemps qui coule dans mes veines?  Combien de rues avant la fin de ma course?  Qu’importe, je pourrais me perdre et j’éclaterais de rire tellement ce bonheur est durable.

Mais toute bonne chose à une fin.  J'accélère les foulées et je dévore le dernier pâté de maisons. Un autre Golgotha apparaît droit devant:  je grimpe une  cinquantaine de marches.  Arrivée tout en haut, je me retourne pour admirer la ville.

Je ne suis plus derrière le volant.  C’est bien moi qui cours, avec mes Nike bleus électriques vissés dans les pieds.  Il y a un mois, j’avais une aiguille plantée dans le bras pour la dernière séance de chimiothérapie.  On me dit que c’est long, très long avant de reprendre ses forces.  Mais je n’ai pas envie d’attendre.  Je préfère commander à mon corps de se réveiller.  Pas le temps de mourir.  Mais souffrir, ça oui, je veux bien. 

Jean Leloup me fait le cadeau d’une chanson pour clore cette course.

Je sens que j’hallucine
Et j’ai peur de partir comme un fou vers la mort
Et j’ai des grands instants de lucididididididididi….
Et j’ai des grands instants de lucididité

Quel meilleur moment que la semaine sainte pour démarrer le journal de ma résurrection.  Une année pour reprendre ses forces?  Alors en vérité je vous le dis, le décompte est commencé.  

17 mars 2013

Jouer au moine chez les Sœurs


Avouez que j’ai une gueule de moine avec mon crâne Kojak… Est-ce à dire que je suis plus spirituelle que n’importe quel autre chevelu? A défaut de l’être, j’ai le désir de le devenir.  Je veux trouver le secret de la Caramilk de la paix intérieure.    Certains convoitent les chaussures griffées ou les bagnoles hors de prix, moi j’ambitionne dénicher cette cape invisible qui me rendra invincible, l’Épanouissement de la Quinquagénaire.  Si le zen était en vente, j’en achèterais une boîte de douze. 

« Combien pour la douzaine de zens? »

« Vous tombez bien :  ils sont en promotion cette semaine.  150 dollars la douzaine. »

« Je la prends!  Vous me faites un joli paquet, s’il-vous –plaît? »

Je m’imagine avec ma douzaine de zens sous le bras, gage de sérénité pour les mois à venir.  Zen, mot simplissime et pur, promesse de douce ivresse baignée de bonheur béat.  Le mot qui fait sauter la cagnotte au Scrabble et procure une infinie satisfaction pour la joueuse paresseuse que je suis.  Zen, mystérieuse chimie d’une pensée magique venue d’ailleurs, la science d’une plénitude renouvelées,  comme un sablier que l’on tourne et retourne, le plein/le vide/le plein/le vide… Séquence parfaite pour reproduire le bonheur.

« Elle est complètement barjo depuis sa dernière chimio… » penserez-vous.  Il y a de quoi devenir gaga, c’est vrai.  Je vais bientôt renouer avec des petits plaisirs magiques qui sont le sel de la vie.  Grâce à la lente remontée de mes précieux globules blancs, je vais aller danser d’ici quelques semaines dans un bar bondé, plein de microbes.  Autre péché :  manger des sushis crûs en buvant une petite lampée de vin blanc.  Mordre dans un steak saignant.  Recommencer à jogger.

Mais en attendant, je me suis payée un petit luxe :  une cure de silence.  Deux jours complets chez les Sœurs de l’Assomption.  Au moment où j’ai bouclé ma valise, j’ai failli y planquer des séries télés pour les regarder sur mon ordinateur… Mais j’ai finalement opté pour les bons vieux romans et des magazines, des vieux exemplaires de Philosophie et Psychologies.

Je suis passée du joyeux bordel de ma petite cuisine à Trois-Rivières à cette chambre austère en moins de vingt minutes.  Première séance de méditation?  Dormir!  Après la sieste dans un rayon de soleil, la cure de silence s’invente par elle-même au fil des horaires de repas et de prières.  Pauvre Jésus, je suis une piètre compagne pour le dialogue silencieux dans la chapelle… J’y ai fait un saut de puce pour entendre la voix cristalline des religieuses et j’ai finalement enfilé mon gros manteau, ma tuque et mes mitaines pour aller marcher dans le bois.  Un grand pic bois à tête rouge m’a saluée au passage, comme pour m’encourager à affronter le vent de mars qui n’a encore rien perdu de son mordant.

Que suis-je venue chercher dans ce lieu où la frugalité fait foi de tout?  J’aimerais pouvoir faire surgir la Chantale-avant-le-cancer avec sa candeur naïve, presque nunuche par moment, mais légère et confiante.  Cette femme-là est encore en moi mais elle est en train d’apprendre de nouvelles leçons :  ne pas faire de projet, c’est déjà un projet.  Remettre à demain peut réserver d’agréables surprises.  Rien ne sert de courir, il suffit de marcher un peu plus longtemps.  Simplement s’arrêter, c’est déjà prier.

4 mars 2013

La conspiration des anges



Les anges rôdent comme des voleurs, prêts à vous envelopper dans leur bienveillance supra-naturelle.  Une fine bruine de neige, comme le souffle d’un bébé, tombe sur mes joues fiévreuses alors que je marche pour chercher l’air qui me manque en ce début de nuit. Mes lourdes semelles s’empêtrent dans ce bout de paradis, un paradis ordinaire égaré devant chez moi sur ma rue couleur blanc bling bling.  C’est ici que je guéris mes malaises à petits pas.

Je me retourne et je les sens tressaillir, tous ces anges qui se dérobent pour ne pas me faire peur tellement ils sont nombreux.  Dans mes pires tourments, lorsque je pleure comme une madeleine exaspérée, incapable de fermer le robinet du torrent de larmes, meurtrie jusqu’aux côtes par tant de tristesse, haletante et furieuse, une toute petite voix souffle.    Les chérubins se relaient, sourds à mes grands éclats mélodramatiques.

Je lève les yeux et je vois ma mère, impuissante devant ce grand malheur qui me happe.  Elle laisse Niagara faire son œuvre, couler avec puissance, impressionnée par la beauté désespérée qu’est devenue sa fille.  Et ma mère, si grande et forte, me tend des petits pots de crème.  Des sérums et des huiles pour lifter mon humeur.  Je plonge dans les fioles et retrouve l’odeur du bonheur.

Je me lève un beau dimanche.   Les dimanches sont devenus aussi insipides que les lundis, vidés de leur magie.  Pourquoi célébrer cette journée qui se confond à toutes les autres, neigeuse et grise?  Mais le dimanche de ma sœur est jour de repos, une excuse pour aller saluer le long sentier près de la rivière.  Enfile raquette, accroche sourire, attache tuque.  Marche.  Elle ne cherche pas les mots, elle parle tout simplement.  Et voilà un autre ange, accroché au grand bouleau, qui me décoche une flèche en plein cœur.  Ce dimanche est spécial après tout.

Vous ai-je dit que mes enfants sont devenus des géants récemment?  Lulu et Clopinette ont de grands bras, des velcros qui se collent sur leur mère.  J’ai le nez coincé dans leur cou.  C’est étrange de mettre au monde de si grands êtres.   Princesses des îles a, quant à elle, pris les bouchées doubles.   Allez savoir pourquoi… Élancée mais quêtant encore le câlin du soir pour me rassurer sur mon rôle de mère inébranlable.  Il y a de la finesse dans cette business d’anges volants.

C’est une armée blanche, une onctueuse douceur qui me fond dessus à toute heure du jour.



Ma maison prend forme grâce à la ténacité de mon amoureux et de mon père.  Un tient le marteau, l'autre le rouleau.  Les amis s’entêtent à m’appeler pour prendre de mes nouvelles.  Un autre m’envoie des chansons inspirantes.  Certains vont même jusqu'à faire de grands détour depuis le Pacifique pour venir me saluer.  Il y a aussi, pêle-mêle, les fleurs, un dîner à l’osso bucco, un texto, de la soupe et une gentille voisine à l’accent charmant.

Les anges glissent sur mon entourage et les inspirent pour qu'ils perpètrent leurs délits de tendres gentillesses.  Mais pour eux, ce n'est pas assez.  Alors que font-ils?  Les rédigent mon horoscope. Comme celui-ci, que je conserve comme une médaille de Sainte-Anne:

BALANCE :  Vous l’avez peut-être remarqué :  depuis la fin de l’an dernier, vos arrangements et ceux des autres ont évolué, souvent spontanément.  Vous ne serez donc pas surprise quand des éléments de votre vie et des projets d’avenir changeront de façon substantielle ou se termineront abruptement.  Le défi est d’y renoncer sans savoir de quoi l’avenir sera fait.  Gardez la foi.  Votre instinct devrait vous souffler que des arrangements merveilleux et très différents s’annoncent.  Vous n’avez qu’à les laisser se développer.