Interlude internet

J’ai trois brins de fil dans une main et un modem poussiéreux dans l’autre.  Je suis au sixième étage de l’édifice Canal+ à Nouméa, dans le quartier général de mon fournisseur internet, Can’l (prononcez « cannelle »).

Ma mission :  avoir internet.  Le silence radio dure depuis deux semaines et je commence à me demander comment on faisait pour vivre sans la connexion.  Je réfléchis à cette sombre énigme pendant que le technicien reconfigure la bête.  Les clignotants lumineux vont bientôt reprendre du service et moi je vais pouvoir surfer.

Il y a pourtant un monde à explorer hors de la zone WIFI. 

Suggestions 2.0

-Allez faire les courses à vélo.  Pour augmenter le niveau de difficulté, demandez à vos adolescents de vous suivre.  Une demi-heure de discussion musclée en vue.

-Appuyez sur la touche RANDOM de votre Ipod et dansez les guéguettes en l’air.

-Faites le ménage de vos vieilles photos et riez de votre coupe de cheveux année 80.  C'était la belle époque où vous n'étiez pas photoshoppée.

-Prenez un livre de recettes pour cuisiner un gâteau.  Vous n’allez pas toujours googler vos ingrédients pour décider ce que vous allez manger, non?

-Attachez les cordons de vos Nike/Saucony/Asics et allez courir un peu.  Pour augmenter le niveau de difficulté, demandez à vos adolescents de vous suivre.  Là encore, il y aura du muscle et pas nécessairement sur vos mollets.  Les ados en mode débranchés sont des êtres fragiles.

- Lisez votre bouquin du CEGEP sur le marketing pour savoir comment on se lance en business.  Sachez que le blog d’une lambda comme moi procure beaucoup de satisfaction.  On n’a jamais acheté un sac Gucci avec la satisfaction.  Tirez vos conclusions.

-Sortez vos DVD :  POWER YOGA, Fesses de Fer Express, Un 6-Pack en 10 leçons, le Taï Chi pour les Nulles.  Achevez-vous en glissant un classique dans le lecteur :  Jane Fonda en leg warmers rose et souvenez vous que la vénérable Barbarella a 73 ans.  Est-ce l’aérobic ou les liftings qui la rendent si jolie?

-Ecrivez quelques pages dans votre journal intime.  Hein, quoi?  Un journal « intime »?  Oui, c’est le contraire de Facebook…

-Allez fureter au rayon Voyage de la bibliothèque municipale et préparez l’itinéraire de votre prochain périple.  Le monde est grand…mais le rayon Voyage est parfois si petit…Êtes-vous prêt pour une autre petite expédition à Cuba? 

-Variation sur le thème Voyage :  faites du scrapbooking avec les étiquettes des bouteilles de vin que vous avez bues et partez à la découverte de tous ces jolis vignobles.  Vous allez peut-être boire moins vite avec tout ce boulot.

-Jouez au Scrabble.  Ça existe dans une version qui n’est pas en ligne, il suffit d’ouvrir la boîte.

Internet est revenu.  J’ai remis le damier de Scrabble au fond de sa boîte et rebranché mon modem.  Je me suis prosternée devant les petites lumières brillantes comme une branche d’arbre de Noël et j’ai dit merci au Jésus du Web.  Je dois vous avouer que malgré toutes les meilleures intentions du monde à sortir de la zone WIFI, je me suis un peu ennuyée.  J’ai mal aux fesses d’avoir dansé avec la vieille Jane Fonda.  Elle m’épuise.  Mais c’est promis, je la retrouverai de temps en temps, histoire de débrancher pendant 48 heures pour muscler autre chose que mes doigts sur le clavier. 

Savoir dire non

« Maman, je veux des faux ongles! »

Princesse des îles se tient debout dans l’allée d’épicerie et convoite les appendices de plastique noir griffés d’une tête de mort. 

« Non, pas de faux ongles », lui dis-je. 

« Mais tu dis toujours non! »

Depuis que je suis à Nouméa, c’est vrai que je dis souvent non.  Non aux faux ongles, non au bikini Billabong à 80 dollars, non aux Nutella à 15 dollars le pot, non aux sorties resto sur un coup de tête, non à ceci, non à cela.

L’autre jour, Chéri et moi avons même tranché:  non à la voiturette pour nos deux ados.  Nous avons décidé de ne pas surfer sur la vague des minicitadines, ces véhicules conçus pour les apprentis conducteurs de 15 à 19 ans.  Il en pleut à Nouméa!  Des petites bagnoles rutilantes qui se faufilent partout avec une vitesse de pointe de 60 km/hr.   Bien qu’inflexibles sur la question, nous nous sommes tout de même rendus chez le concessionnaire avant de poser notre véto.  Le vendeur était pourtant très convaincant :  avec des adolescents au volant d’une voiturette, fini les tracas pour aller et venir entre la maison et le lycée. 

« Et ce véhicule est très sécuritaire.  Il a passé haut la main tous les tests de collision», me dit-il en me montrant le squelette en aluminium de la voiturette.   Moi, ça me fait vaguement penser à l’armature d’une tente prospecteur.  Solide mais quand même fragile aux intempéries.

« Combien pour la batmobile miniature? », osé-je demander. 

Le modèle de base :  11 milles.

Ouille.  À ce prix-là, je pourrais avoir une Toyota Corolla d’occasion.

Et la question-bonus qui tue :  combien pour assurer deux adolescents ivres de liberté au volant d’une voiturette dernier cri?

1500 bâtons par année. 

« Merci, nous allons réfléchir ».   Chéri et moi décochons nos sourires mielleux en lui serrant la main.  Une fois sur le trottoir, on se regarde et on dit en même temps :

« Non! »

Les Flingstone vont devoir marcher pour avancer.   Ou alors, nos adolescents ont une option qui a l’avantage d’être économique et pratique :  prendre le bus.