24 juil. 2011

Y’a pas de soucis  
(yappa d’soucis)

L’expression n’est pas calédonienne.  Elle est française jusqu’au bout de la baguette.  C’est l’équivalent du haussement d’épaule en secouant la tête avec un air débonnaire.  
 « Y’a pas de soucis! » 

J’ai fait un TOP 10 des « Y’a pas de soucis » pour bien illustrer la polyvalence de cette tournure passe-partout. 

-Irruption cutanée subite qui vous fait ressembler à une betterave pelée.  Vite, on court chez le médecin.  Le temps de faire « ding dong » avant de foncer dans le cabinet, vous voilà avec la pharmacie sous le bras, prêt à vous tartiner de crème.
Y’a pas de soucis!

-On vous file un canasson pour la leçon d’équitation.  Il s’appelle « Tête de clou » et il se prend pour un âne.  Recule au lieu d’avancer même avec de vigoureux coups de talons.  Pas de panique : c’est une bête qui démarre comme un diésel.  Dans 10 minutes, vous filerez au trot.
Y’a pas de soucis!

-Vous arrivez penaude avec votre tonne de livres à la médiathèque.  Trois semaines de retard… vous imaginez déjà l'amende que vous aurez à payer, presqu'autant que s’il s’agissait d'acheter la collection complète de la Pléiade.  La bibliothécaire vous explique que vous n’êtes pas hors-la-loi :  il y a un délai qui s’ajoute à la date de retour.
Y’a pas de soucis!

-Vous flippez en ouvrant le compte d’électricité : 500 dollars et vous n’avez fait que trois brassées au séche-linge.  Mais en y regardant de plus près, vous retranchez quelques zéro et remarquez la mention  « Avoir en votre faveur : 50 dollars ».
Y’a pas de soucis!

-Vous avez un problème de connection avec internet.  Votre modem clignote comme s’il était sur le point d’exploser.  Un coup de fil et vous avez déjà le technicien en ligne sans être passé par le dédale des « faites le 1, faites le 12, faites le dièse pour revenir au menu principal, faite le zéro pour ne pas vous flinguer »  Il est là, il vous parle avec une voix de velours  et vous rebranche en criant ciseaux.
Y’a pas de soucis!

-Vous arrivez à coincer WAPITI sur un mot compte triple au Scrabble.  Au tour suivant, vous en rajoutez en piochant un « S ».  Pourquoi se priver?  WAPITIS. 
Y’a pas de soucis!

-Problème de tuyauterie, la toilette coule.  Dégât majeur.    Vite, appelons le plombier.  Il sonne, ding dong, vous ouvrez et tombez nez à nez sur le sosie de Georges Clooney.  Craque de fesses en prime.
Y’a pas de soucis!

-Vous vous apprêtez à prendre l’avion avec une valise aussi lourde que le Grand Antonio.  Par miracle, on vous surclasse et vous vous en tirez avec trois grammes sous la limite permise.
Y’a pas de soucis!

-Pour une raison que vous ne parvenez pas à vous expliquez, vous avez envie de passer du temps avec vos enfants.  Pas juste du temps de qualité.  Des jours entiers.  Vive le calendrier scolaire français, ils sont en vacances aux 6 semaines.
Y’a pas de soucis!

-Vous vous fouettez pour ne pas manquer une réunion de parents qui affiche un ordre du jour soporifique.  Pendant la pause, vous tombez sur un papa qui a une paire de billets pour un show de Madonna à vendre.  Pas cher.  Et le concert est à Boston. 
Y’a pas de soucis!
 Trois grimaces et des ploufs!  

23 juil. 2011

La belle entêtée


C’est une histoire qui commence par un coup d’œil échangé dans un bar de Nouméa.  Elle s’appelle Brigitte et lui Armand.  Brigitte tient sa cigarette avec le coude planté sur le zinc et exhale la fumée.  De  grandes volutes  bleue montent, l’enveloppant dans une bulle mystérieuse.  Une kanak avec des airs de Greta Garbo.  Elle a laissé sa robe mission au placard ce soir.  Elle arbore plutôt son look « métro », pantalon noir et chemisier blanc. 

Brigitte attrape le regard d’un bel homme dans le grand miroir au dessus du bar.  Armand, lui aussi kanak, lui offre un verre.  Elle l’ignore, lui jetant à peine un regard.  Il ne se démonte pas, montrant un doigt et jouant du sourcil.  Brigitte se penche vers sa copine et lance à la blague que le type de l’autre côté du bar doit être sourd muet avec son charabia en langue des signes.

Elle est comme ça :  belle et sûre d’elle, passée maître dans l’art de faire monter les enchères.


Il  finit par s’approcher de sa ténébreuse.  La patience d’Armand-le-protestant a finalement eu raison de la fougue de Brigitte-la-catholique.  L’affaire a fini en mariage quelques mois plus tard. 


Adieu la luxuriante côte est et ses fleurs grosses comme des choux.  Au revoir l’ambiance festive de la tribu de Pouébo :  Brigitte a quitté sa famille pour mettre le cap sur la presque mormone tribu de Ouélis non loin de Voh, de l’autre côté de la chaîne. Elle y vit avec son mari et son fils de 6 ans, le bien nommé Abraham.


Pantalon noir et chemisier blanc sont retournés au placard.  Désormais, Brigitte ne quitte plus sa robe mission.  Mais si vous y regardez de plus prêt, vous remarquerez ses ongles d’orteils manucurés au vernis couleur corail.  Les longues heures passées au champ pour récolter l’igname n’ont pas émoussé son désir d’afficher sa féminité.

Sa petite maison croule sous les fleurs. C’est sa façon à elle de clamer son appartenance à l’exubérante côte est.  C’est fleuri même sous les arbres :  il y a des dizaines de pots coincés entre les racines d’un flamboyant qui doit être plusieurs fois centenaire. 

Est-elle heureuse ici?  Brigitte ne fait pas de cachettes :  les règles strictes qui dictent la coutume lui pourrissent un peu la vie.  Elle se surprend à se laisser glisser dans l’indolence lorsqu’elle trime au champ ou à la pêche.  Elle rêve d’avoir un petit snack devant chez elle ou mieux encore,  un boulot à la mine Koniambo.  Mais ça ne se fait pas ici.

Elle aurait assez de culot pour brûler un soutien-gorge pour statuer sur le sérieux de ses demandes… Mais voilà, elle est seule dans le clan des revendicatrices.  Alors que fait Brigitte?  Elle mord dans la vie comme une gamine.  Quand elle a envie de danser, elle danse.  Même au beau milieu des champs.  « Et c’est moi qui porte la culotte! », dit-elle assez fort pour que son cher Armand, qui n’a rien d’un sourd-muet, saisisse bien le message.

Je le vois hocher la tête en s’éloignant.  Décidément, il ne s’ennuiera jamais avec sa Greta.

17 juil. 2011

(Folle) Raid(e) de Poum

Tiabet a ouvert les portes de sa tribu pour accueillir 300 coureurs et/ou marcheurs.  Les athlètes amateurs optent pour l'une ou l'autre des deux épreuves:  le grand Raid de 16 km ou le mini de 9,5 km.


Ce que vous ne verrez pas dans cette vidéo:  une demi-douzaine de chevaux sauvages qui bondissent sur le sentier des participants pour aller s'enfuir vers l'horizon lumineux des côtes de Poum, tout au nord de la Calédonie.  Priceless.


C'est un décor de bout du monde, pas du tout touristique et raccoleur.  Tout est 100% authentique:  les sourires, les scènes de la vie quotidienne, le souffle court des coureurs, l'alizée qui souffle avec la promesse d'un printemps chaud.




Il règne une ambiance du tonnerre ici, curieux mélange de rassemblement sportif et d'assemblée baba-cool.  Dans un prochain clip, je vous montrerai comment toute la tribu est mise à contribution pour nourrir 300 personnes affamées comme des loups.  Un festin!

12 juil. 2011

J'ai attrapé la G.G. :  la grippe de gars

 C’est un virus qui s’inscrit dans votre ADN et s’épèle C.R.O.M.A.G.N.O.N.  

État régressif.  Envie de végéter.  Cerveau caverneux, vaseux, brumeux.  Même le poil sur vos jambes fait mal.

« j’ai la tête qui éclate/j’voudrais seulement dormir/m’étendre sur l’asphalte/Et me laisser mourir…. »

Fabienne Thibault, sors de ce corps. 

Ma mère a sursauté lorsque son skype s’est ouvert.  Il fallait bien que je l’appelle pour me plaindre.  Non, ma web cam n’est pas sur le mode « funny », mom.  C’est ma face qui est comme ça :   un reste d’œufs brouillés dans le fond d’un poêlon. 

« Maman, je suis malaaaaaade!  J’ai la grippe : / »

« Hon… t’as probablement attrapé un courant d’air.  Va voir un médecin, vite! »

Je m’imagine déjà dans le bureau du docteur :  « J’ai attrapé un courant d’air.  Donnez moi des antibiotiques ou quelque chose pour tuer le virus… »

J’ai finalement opté pour le Tylenol 500mg, trois fois par jour.  De l’eau, une doudou, un livre et une pile de revues.  On débranche le cerveau et on attend que ça passe.  Et surtout, ne pas oublier de bougonner.  C’est si rare qu’on a une occasion de s’adonner à ce sport extrême quand on est une mère de famille qui doit faire comme un joueur du Canadien et toujours donner son 110 pourcent.   Please, laissez-moi être poche et moche pendant 2 jours.   Je vais me remettre beaucoup plus vite sur le piton, ça fait partie du processus de guérison.

Il y a de l’espoir au bout de ce long corridor parsemé de vieux mouchoirs.  J’émerge.  Un trait de mascara, un coup de gloss et j’aurai fait disparaître le « gars » de la méchante grippe. 

Mais je suis encore toxique.  Tassez-vous si j’éternue.  Pas question que je partage ce virus-là avec vous.

11 juil. 2011

So-so

So-so et son chéri

Elle s’appelle So-so.  Elle a les cheveux lissés noir, un tatouage qui a poussé comme une plante grimpante sur son abdomen et une jolie voix flutée.

Elle collectionne le sable.  Sitôt arrivée sur une plage, elle fait filer les grains doux entre ses doigts pour les couler dans un petit pot.  Le blanc pur, le crémeux du sahara, les bruns mocha…jusqu’au noir charbonneux.  Elle a réussi à traquer toute la palette en foulant les bords de mer.  Et si par bonheur elle apprend qu’il existe quelque part une plage rousse qu’elle n’a pas encore explorée, elle envoie ses amis en mission pour cueillir une précieuse poignée de soleil.

Que fait-elle une fois qu’elle a consigné ses bouts de château de sable dans les petits pots?  Elle appose les étiquettes :  lieu, date, couleur du bonheur.  Elle le passe au tamis, le nettoie, le sèche en soufflant un peu dessus et le retourne dans son contenant de verre.

Et quoi encore, direz-vous?

Elle n’est pas un peu gaga ta So-so, me demanderez-vous?

Disons plutôt que c’est une passionnée.  Quand elle est seule dans sa maison du Mont-Dore,  elle aligne ses petits pots sur la table de la salle à dîner… pour jouer dans le sable.  Un jeu d’une infinie précision où elle dessine avec des grains minuscules et fait exploser la vie calédonienne.  Des papillons endémiques, des cases, des fougères arborescentes.  C’est la vie qui s’égrène sous ses doigts agiles.  Lorsque son chéri et ses deux fils reviennent au bercail, le marchand de sable a saupoudré sa magie pour laisser fleurir des tableaux.  Ses hommes s’étonnent de son talent comme s’ils venaient de toucher à l’essence même de cette femme généreuse et sensible lorsqu’ils admirent ses tableaux. 

Cette semaine, elle met ses œuvres dans des cartons.  Pas toutes!  Il y en a tellement qui ont été données pour sceller une amitié.  Mais le beau sourire de So-so fond un peu lorsqu’on lui dit qu’elle va bientôt quitter son pays bleu.  Au revoir cher caillou, direction Québec.  Il y aura bien sûr d’autres plages à découvrir, d’autres monticules sablonneux à ratisser du bout des doigts en imaginant l’image qu’elle fera surgir. 

« I’m going home, I’m going home…Tell the world I’m going home… »

Là-haut, au Québec, So-so va continuer à saupoudrer sa touche magique.  On retourne le sablier.  Une autre vie commence.  Et cette fois-ci encore, elle ne sera pas banale.

4 juil. 2011

Anecdote radiophonique

Alvin anime la Hit List quotidienne.  Toutes les chansons qu’on a entendu quinze fois dans la journée, on se les rejoue en une heure.  Whoupidou.  C’est le moment où je peux apprendre les nouvelles expressions tendances « jeunes » :  c’est choc, ça roule ma poule, c’est frais (cool…), je kiff/tu kiff/il kiff (verbe très irrégulier), tranquille…

Au menu de ce buffet musical, Alvin offre un billet de cinéma à un ado chanceux.  Mais il y a un prix à payer pour ce fichu billet :  l’ado doit…parler.  Parler de l’école, de la famille, des repas à la cantine, de ses artistes préférés.  L’animateur hyper motivé pose les questions sur un ton enjoué, ignorant les feintes de l’ado qui n’en a rien à cirer des nouilles à la cantine. 

L’autre jour, c’est Cynthia de La Poya qui a eu la main chanceuse.  Alvin badine, « ouais, super canon-machin » à chaque fois que notre ado lui fait la faveur d’un « oui » ou d’un « non ».

Alvin :  «  Alors Cynthia, tu aimes les animaux ? »

Cynthia : « oui »

Alvin : « tu as des animaux chez toi?  Des chats, des chiens? »

Cynthia : « 5 chiens »

Alvin :  « Whaou!  5 chiens et bien dis donc, c’est toute une famille que celle-là!  Je vous rappelle qu’on parle à Cynthia.  Elle a 13 ans et elle est en 5e au collège de La Poya.  Elle vit en tribu avec son papa, sa maman et ses 5 chiens. Tu gagnes un billet de cinéma.  Tu aimes le cinéma? »

Cynthia :  « oui »

Alvin :  « Tu pourras aller au cinécity de Nouméa pour réclamer ta place gratuite.  Tu as jusqu’à la fin du mois pour voir le film de ton choix… »

Je suis alors au volant de ma bagnole, en route vers la pizzeria  lorsque j’entends Alvin s’exclamer sur le prix comme s’il était Bob Parker dans The Price is Right.  Je pouffe de rire.  La Poya est à deux heures et demi de route de Nouméa.  Deux heures et demi sur la RT1 pour aller voir une comédie de 135 minutes qui de toutes façons sortira en DVD dans 3 mois.   C’est au tour de Cynthia de poser une question :

« Et si je ne peux pas y aller à la fin du mois? »

Alvin garde sa bonne humeur et ne se démonte pas d’un poil;

« Ahhh!  Mais c’est le règlement!  Tu dois réclamer ta place avant la fin du mois… »

J’entre alors dans la pizzéria.  Nino, à son four, écoute lui aussi la Hit List avec Alvin.   On se regarde et on hoche la tête, dépités.

« Je crois pas qu’elle ira au cinéma, celle-là… », analyse-t-il en me tendant ma boîte à pizza.

Dommage…Il va y avoir une belle place de cinéma de 12 dollars qui va finir dans le fond d’un tiroir.  

Nouméa est parfois à l'autre bout du monde pour les broussards que nous sommes!

3 juil. 2011

Partir avec une seule valise

Coup d’œil circulaire dans la maison alors que mon regard embrasse tous les objets qui m’entourent.  Je les imagine emballés, ficelés et organisés avec une précision inouïe pour recréer un tétris sans faille.  Un tabouret bancal échappé par mon fils, deux fauteuils en cuirette que je me revoie en train de charger sur un minuscule caddy parce que c’était « une bonne affaire » (alors que mes cuisses collent dessus…), les pôles de rideaux où j’ai glissé des bouts de tissus pour faire diversion sur le crémeux trop lisse des murs, un banc de quêteux chiné à Windsor dans la grange d’un antiquaire-sosie-de-Jésus-Christ (et dont je ne peux me séparer tout comme ma bible compacte et un vieux rameau), un miroir en forme d’étoile dans lequel personne ne se regarde pour replacer une mèche rebelle, trois boîtes balinaises rouge bonbon qui ne servent à rien sinon à attraper la poussière et la dernière coupe à porto de belle-maman qui a échappé à mes fréquentes casses.

La question qui tue : après avoir pesé le pour et le contre du pratico-pratique et des bons sentiments rattachés à chacun de ces objets, y aura-t-il encore une raison valable pour leur faire traverser la moitié de la planète sur un cargo, atterrir dans un port encombré, se faire trimballer par de vaillants débardeurs, être livrés, délivrés et….finalement oubliés?

Poser la question, c’est déjà y répondre.  Il y aura du « donner au suivant » pour faire de la place.

Je dois reconnaître que l’inventaire des biens inutiles pose problème.  Ce caillou rond comme une bille cueilli par Chéri sur la plage de Mount Desert Island qui me suit depuis 20 ans?  Mes vieux posters collectionnés en Europe qui tapissent tout un mur?  Une liasse de vieilles lettres d’amour pour me rappeler que j’ai eu une autre vie que celle-ci? Les albums photos des enfants alors qu’ils avaient des bouilles de bébés et moi le front lisse?  Comment tout cela a-t-il pu se trouver ici en Nouvelle-Calédonie?  Je me le demande sans trop vouloir comprendre. Ce sont des jalons posés ça et là qui me rappelle ce que j’ai déjà été :  une nouvelle mariée à qui l’on offre un caillou plus solide qu’un diamant, une étudiante éperdue de découvertes à travers le monde, une jeune femme qui a enfilé les amoureux comme des perles sur un collier sans savoir comment les attacher.  Une maman qui s’émeut devant ses chérubins.  Ce ne sont que des images, des souvenirs qui s’effritent.  Les enfants viennent au monde et finissent par partir eux aussi, valise au poing, cœur vaillant, faisant  à leur tour l’inventaire des trésors.  Ils sont touchants lorsqu’on les surprend embrassant leur premier amour sans jeter un regard en arrière.  Il y aura toujours les albums photos et les lettres parfumées d’émois pour se souvenir de la douceur de leur peau et de nos propres battements de cœurs affolés. 

S’alourdir ou voyager léger?  

Il faut parfois savoir conserver les choses inutiles pour se rappeler la douceur de la vie.