27 oct. 2010




              Rire de soi

C'est une vue saisissante: imaginez un bouton purulent au milieu du visage, une femme voilée dans un snack de Hérouxville, un curé en soutane accoudé un vendredi soir au bar Le Temple où une flopée de poules downtown Koné.  Autre image déroutante: nous les québécois qui vivons ici, dans ce petit coin perdu. Difficile de ne pas nous remarquer dans une province où la population est majoritairement noire. Ici, ce n'est pas la blanche Nouméa.
C'est choc, comme disent les ados.
Notre appellation? Les expatriés, ces travailleurs venus de partout dans le monde, qui sont un mal nécessaire. Pour faire fonctionner la plus grosse mine de nickel au monde, KNS a besoin de faire appel à des étrangers. Chéri fait parti du contingent. Il n'est pas le seul: ici dans mon quartier, il y a des québécois à tous les coins de rue. C'est le Old Orchard du pacifique sud...L'autre soir, ils étaient une trentaine à jouer au hockey dans ce nouveau développement domiciliaire construit pour accueillir les nouveaux arrivants!
Mais la relève se prépare: on s'apprête à former des jeunes d'ici dans une école technique à Bourail. C'est le CEGEP de Rouyn qui pilote le projet.
Et qui sait? Dans quelques années, mon quartier Green Acre changera tranquillement de couleur pour faire place aux familles d'ici. On jouera plutôt au foot après le boulot.  Après tout, nous n'avons signé qu'un bail de 4 ans...

26 oct. 2010

Les morts de la R-1
C’est un cortège qui se déroule au fil des kilomètres : des fleurs et des lambeaux de tissus qui volent au vent. Des monuments érigés sur le lieu d’un accident. Il y a ce cœur de roses au milieu d’une croix, le t-shirt délavé d’un conducteur qu’on devine dans la vingtaine, une trop abondante gerbe pour marquer la perte de plusieurs êtres chers…C’est violent et tendre. Sans trop le savoir, on lève le pied en frôlant ces scènes encore habitées par les drames. Je me suis arrêtée entre Bourail et Koné pour prendre ces lieux e photos. C’était comme ça quand j’étais journaliste: quelques images pour raconter le pourquoi et le comment d’une tragédie. Ici comme ailleurs, la route tue. 51 morts en 2008. C’est beaucoup pour un si petit pays qui ne compte qu’un peu plus de 245 mille habitants. Le Québec faisait état de 557 décès pour la même année…pour une population de 7,8 millions.

Lettre à mes enfants
Lulu, Clopinette et Princesse des îles, sachez que je vous aime avec passion. Ma plus grande joie, c’est de vous surprendre alors que vous dansez avec abandon dans la cuisine ou chantez sous la douche tout en sachant qu’une tristesse profonde vous habite depuis notre arrivée ici. Vous êtes trempés dans l’acier pour garder une telle bonne humeur! Ceci n’était pas votre idée. Rien de tout cela ne vous excitait. Les lagons, les poissons, les palmiers et un abonnement 10 mois sur 12 au soleil, ça ne vous faisait pas flipper. C’était plutôt poche. L’école sous un soleil de plomb de 7 heures du matin jusqu’à 16 heures et plus avec en prime, une cantine du midi pour les bagnards, j’avoue que ça n’a rien d’attrayant. À quelques exceptions près, les profs sont tous de véritables tortionnaires qui s’évertuent à jouer au punching bag avec vos égos. Sans trop le savoir, les copains prennent le relai. Encore aujourd’hui, Clopinette a ramassé une insulte gratuite pour un simple regard en coin à une copine : « Qu’est-ce que tu regardes, pétasse?! » Pauvre bébé! Tu essaies encore de décortiquer le pourquoi d’une telle méchanceté…Et oui, ils sont parfois comme ça ici. Même Princesse des îles s’est fait bousculée parce qu’elle ne voulait pas partager son suçon à la ronde. Normal, non? Y a-t-il une pilule qui puisse épancher vos larmes lorsque vous en avez vraiment ras le pompon? J’étais déjà à court de ressources lorsque vous aviez des coliques alors imaginez avec les chagrins comme ceux-là…Je suis complètement chamboulée. Je vous prends dans mes bras, souffle des bisous sur vos joues en espérant que ça va passer. Et comme par magie, comme la pire des coliques, ça finit par s’estomper. Je vous retrouve le lendemain matin, frais comme une rose, chantonnant en tartinant généreusement votre bout de baguette. Moi, je suis un peu barbouillée parce que j’ai dormi comme pioche. C’est quoi votre truc? Je tire encore des leçons de sagesse à vous regarder vivre.
Je vous aime. Vous êtes mon inspiration.

23 oct. 2010

J’ai un amour qui ne veut pas mourir
C’est une rumeur qui est arrivée aux oreilles de ma pauvre mère : le Nord, c’est moche. Elle était dans tous ses états en apprenant que les gens ici buvaient comme des éponges pour ensuite envahir les routes du coin en semant la panique partout où ils passaient. Une contrée désertique peuplée de cowboys sans foi ni loi. Ah bon? Vrai que c’est moche par endroit. Vrai qu’il y a des saoulons déjà bien imbibés sur le coup de 18 heures. Vrai que les trois heures qui nous séparent de Nouméa pèsent parfois lourd. Mais brousse ne rime pas avec frousse. Mes enfants vont à l’école avec la jeunesse des tribus du coin, je fais mes emplettes chez Adjan, le gentil proprio de New Wave qui arrondit parfois la facture pour me faire sourire, j’éclate d’un bon rire avec les fonctionnaires de l’OPT et je réponds avec joie aux klaxons joyeux des travailleurs qui me saluent pendant mon jogging. Il y a ici des gens fiers et bons , attachés à leur communauté et qui sont de véritables citoyens actifs. J’aime cet endroit. J’aime voir la montagne aux humeurs changeantes qui domine Koné. Parfois sombre et perdue dans un épais nuage ou encore plus grande que nature avec ses sommets inatteignables. J’aime les chevaux sauvages qui broutent sur le bord de la rivière mangée par les nénuphars. J’aime les jardins secrets et touffus d’où sortent parfois des coqs têtus qui courent sur les trottoirs. J’aime la baboune de la caissière du marché centrale même si elle m’exaspère…Et j’aime plus que tout papoter avec Anna qui me raconte que ses varices la font souffrir. Dieu qu’elle est belle avec sa jolie peau blanche et fripée dans ce pays pourtant noir! Et j’aime aller traîner au Tumbala café. C’est là que je fais mes tête-à-tête avec mes enfants pour entendre le récit de leur péripéties. La dernière fois que j’y suis allée, j’étais avec Princesse des îles. Elle en avait des choses à dire sur sa nouvelle école, les Flamboyants. Au moment où j’allais régler l’addition, la musique d’ambiance s’est mise à dérailler. La serveuse part vers le lecteur et glisse un autre disque. Surprise : c’est Renée Martel! Un vieux succès vinyle des années 60, « J’ai un amour qui ne veut pas mourir ». Les accents nasillards qui emplissent soudainement le Tumbala font monter en moi des larmes de bonheur. Je suis là à Koné, plongée par magie dans l’insouciance de mes 5 ans alors que tante Fernande ne se lasse pas de faire jouer et rejouer son 45 tours. Je suis ailleurs, loin de tous mais vous m’habitez toujours. Pas question de perdre le nord. Je le laisse plutôt me gagner peu à peu.

20 oct. 2010

Liste des choses à ne pas faire
Filer vers Poindimié avec la jauge à gazoil au quart
Aller à la plage sans son kit de premier soins
Faire la baboune chez le boucher
Faire confiance aux machines distributrices
Partir sans appareil photo
Dire non à une invitation
Jogger avec les nuées de moustiques
Dire oui à une troisième coupe de vin
Se coucher fâchée
Remettre à demain
Faire plus avec très peu


Nous vivons dans un village global avec internet au bout des doigts, un téléphone mobile perpétuellement vissé dans la paume de la main et un ipod touch qui claironne au fond du sac pour aviser d’un nouveau message Facebook. J’aime être branchée.
Mais ici, internet se fait attendre. Cruellement. Je ne peux pas aller surfer sur la toile en faisant mon yoga ou en mitonnant le repas. Je dois aller me percher sur le bord de la fenêtre de la chambre de Clopinette pour capter le réseau de mon gentil voisin. Une gymnastique quotidienne qui fait bien rire les ouvriers du coin.
Comment skyper sans ameuter tout le quartier? Toutte-toutte-toutte-ti-louppe-toutte!!!! Buzz…buzz… « Allô maman? Ça va? Ce que tu entends en ce moment? Ben…ce sont les oiseaux qui chantent! » Mais la convivialité a ses limites…L’autre jour, mes filles se chamaillaient solide pour un centimètre rogné sur le bord de la damnée fenêtre. La voisine a ouvert la sienne pour leur siffler autre chose que les notes d’un pinson. Ça ressemblait à quelque chose comme « fermez-là, vous nous cassez les oreilles! » Remarquez qu’elles l’avaient bien cherché, mes deux vilaines!
L’avantage d’un tel système, c’est que dans cette maison, personne n’est accroc à internet. Les moustiques sortent sur le coup de 18 hrs pour décourager même le plus endurci des internautes.

18 oct. 2010

J’aime ça, j’aime ça, l’agriculture…
C’est un air connu qui a propulsé notre Marjo nationale sur la planète des stars "made in Quebec" alors qu’elle chantait avec Corbeau.
Ici aussi, on aime ça l’agriculture et plus précisément, l’horticulture.
Nous sommes allés au Salon de l’horticulture de Pouembout alors qu’il faisait une chaleur tropicale : humide et collant, un temps idéal pour chouchouter ses cactus.
L’horticulture est un véritable dada ici. Il faut voir les cours luxuriantes et colorées agrémentées quelquefois d’un petit carré de pelouse jalousement soigné. Un véritable exploit dans un lieu aussi désertique que le nord!
Nous avons dépensé tout près de 10 000 francs pacifiques (100 dollars) pour nous mettre au vert. Notre villa est planté au milieu d’un terrain en friche…Est-ce que je saurai faire jaillir un petit oasis dans Green Acre?
J'ai étrenné ma nouvelle caméra vidéo...difficile exploit pour une journaliste qui avait l'habitude de partir avec un pro de l'image. Et je me fais les dents sur un nouveau logiciel de montage...pas facile!

horticulture-pouembout

12 oct. 2010

L'insouciance de la vie, à Trois-Rivières
Partir ou ne pas partir…
Flashback sur la rue Quirion à Trois-Rivières. Le jour tombe sur ce début d’été qui a commencé en lion. Il fait beau, il fait chaud. Chéri et moi prenons l’air. C’est lui qui m’a tirée hors de la maison pour, dit-il, « se faire un petit tête-à-tête en prenant une marche ».  Bizarre.  Je le sens excité comme une puce. Ce n’est pas son habitude. Et là, il lâche la bombe avant même d’atteindre le coin de la rue : « qu’est-ce que tu dirais si on allait vivre en Nouvelle-Calédonie? » Nouvelle-Calédonie, le caillou au milieu du Pacifique sud, là où tout est bleu comme dans bleu-paradis…La Nouvelle-Calédonie. Un gros quinze secondes s’égrène avant que je ne réponde : « c’est sûr qu’on y va! ».
Pourquoi dire oui? C’est un beau pays avec de jolies plages. Il pleut solide à l’occasion mais ça fait partie de la vie. Après la pluie, le beau temps.  Ce n’est pas un pays du G-8 mais ce n’est pas le contraste d’une contrée en Afrique.  On y parle français donc il y aura de la baguette et des pains au chocolat.
Nouvelle-Calédonie….Pourquoi dire oui?
On peut le faire en famille, c'est-à-dire avec les trois. Lulu a 15 ans, Clopinette 13 et Princesse des îles aura 11 ans. C’est maintenant où jamais.
Je vais abandonner ma carrière, vendre ma maison et dire au revoir à une vie toute tracée et sans soucis. Je vais visiter ma famille et mes amis en coup de vent une fois par année. Et c’est bien ainsi.
Si je dis non, je vais vivre avec cette cuisante et perpétuelle expression : « j’aurais donc dû… »
Et ça, vraiment c’est non.

10 oct. 2010

Liste des choses à faire
Jogger 
Ecrire 
Faire les albums photos (ah! 10 ans de rattrapage pour les 3 enfants!) 
Comprendre l’usage de tous les boutons sur ma caméra-vidéo. Dompter logiciel de montage
Faire l’épicerie 
Boire moins de vin.  Dur! 
Préparer les cartes de Noël  (et oui, même en octobre!) 
Initier les 3 monstres au plaisir de la cuisine 
Lire autre chose que des revues de filles  
Sourire. Ne pas oublier de sourire.

Koné, amadoue-moi, amadoue-moi!
C’est la nuit et je suis en plein délire. Je rêve ou il y a des esprits qui rôdent? On dirait que je suis dans un film de Wes Craven avec la petite musique lancinante qui vrille mes tympans. Mon souffle s’accélère. Ah non….les fantômes tapis dans mes songes s’apprêtent à bondir. Une lumière s’allume et s’éteint. Je le sens, je vais subir les pires sévices. Où sont les monstres? Affolée, j’aperçois une main qui s’avance vers moi. Je hurle mais c'est peine perdue: aucun son ne parvient jusqu’à mes lèvres. Je mets l'instinct de survie, affuté lors de mes cours d’auto-défense, en mode « auto-protection ». Je m’apprête à bondir pour mordre, telle une possédée.
Et là, qui vois-je? Chéri, la main suspendue au dessus des draps, le sourcil en accent circonflexe. Une ombre passe sur son front : il croit que je suis dingue. Serais-je devenue l’héroïne d’Exorciste? Ce n'était qu'un mauvais rêve. Chéri est déjà prêt à enfouir sa tête dans l'oreiller pour retrouver le sommeil non sans m’avoir donné une courte caresse sur la cuisse pour effacer ce curieux intermède au milieu de la nuit. Je me replonge dans un sommeil agité.
C’est notre deuxième nuit à Pouembout, le village voisin de Koné. Nous avons fait trois heures de route au nord de la capitale Nouméa pour atteindre notre domicile. Plus les kilomètres s’allongeaient derrière nous, plus je réalisais que nous allions vivre côté brousse.
Où sont les supermarchés? Et cette école au milieu d’un champ, c’est bien le lycée dit « agricole » de mon fils Lulu? Bizarre, ce cheval sauvage qui broute le long de la route…Où est la mer? Où sont passés les gens du village après 18 heures?
Je m’ennuie déjà de Nouméa. Est-ce que le nord saura se laisser amadouer? Sitôt réveillée, je pars marcher avant la chaleur du jour pour chasser le souvenir de cette mauvaise nuit. Sur ma route, je croise des locaux qui m’envoient la main en m’adressant un large sourire. Sans trop le savoir, ils répondent à ma question.

6 oct. 2010

C’est bin wack la Nouvelle-Calédonie
Un beau 100 piastres en CFP
Très « wack », comme le décrit Lulu, l’aîné de la famille.
Jour 1 à Nouméa. Je sors à 7 heures pour le premier jogging de ma vie de néo-calédonienne et me voilà comme dans un film avec les scènes de bonheur qui se succèdent. Le livreur qui ralentit pour gentiment céder le passage à une piétonne, un bébé gigotant dans sa poussette, des japonaises qui font saucette dans la baie des Citrons avec des nouilles spaghetti, un cycliste qui m’envoie la main en se fendant d’un grand sourire, des palmiers qui ploient sous le vent pour m’ouvrir la voie, un black qui chille en écoutant son ipod à l’ombre d’un arbre aux branches crochues sorti tout droit du Seigneur des anneaux, une vieille dame en fauteuil roulant qui se fait pousser par sa nounou, une maman grosse comme une baleine qui surveille un minuscule bébé trottinant dans le sable et trois retraitées franchouillardes habillées en hommes-grenouilles qui se préparent à aller faire de la plongée.
Et il y a aussi une joggeuse qui traîne sa carcasse avec un sourire gaga tout en écrasant une larme. C’est moi.
C’est pas la douleur. C’est le bonheur.