12 févr. 2016

L’ultime liste des résolutions

Camping du Mont Ham


Promis juré, il y aura du stylo qui va rouler-biller sur un papier cette année.  

Rien de mieux pour dompter les mots que de les sentir jusqu’au bout des doigts.  Mes calepins reprendront du service. J’ai un mini Quo Vadis qui porte le logo des Paresseuses sur sa jaquette. La fille au profil pointue claironne dans les bulles : « Je tourne la page », « Je passe à autre chose », « Je vais de l’avant ». Tellement, sister!

Autre gros morceau sur la liste, c’est prendre des cours. Des cours de quoi? Des cours pour remplir les cases horaire d’une vie qu’on cherche à meubler avec autre chose que des 5 à 7.   Des cours de fesses fermes, des cours de peinture, des cours de bricolage de boîte à thé, des cours de cuisine.  Des cours tout court.

Des cours qu’on prend pour finalement les abandonner en se disant « À quoi bon? ». Comme les abonnements de gym qui s’achèvent sur une non-présence.

Partir sur un nowhere de temps en temps.  Avec une madame ou toute seule avec mon Ipod. Ça, c’est une chouette résolution.

Cuisiner des montagnes de petits plats pour mon fils-en-appart. Résolution pratico-pratique.

M’abonner à Netflix pour savoir de quoi tout le monde parle. En ce moment, j’erre à tout coup lorsque je tombe sur une chronique d’Hugo Dumas. Ce jeune homme me plonge dans une admiration sans fin. Où trouve-t-il le temps d’engranger tous ces épisodes? J’ai abandonné à la première tentative hier, câble HDMI pendant entre mes doigts, affolée devant la multiplicité des fictions qui ont toutes le pouvoir d’aspirer mes soirées oisives.

Doit-on en finir avec les résolutions? Actions pulsées sous l’effet de la volonté. Prières sans queue ni tête au milieu d’une église à moitié démolie. 

Molles velléitées.

Un gros pilote automatique qui me détourne de la pleine conscience.

La seule résolution que je viens de prendre, c’est de m’arrêter. Je viens de franchir le cap du 5 minutes de cohérence cardiaque. En fait, je veux devenir une marathonienne du rien faire. Une pause quotidienne de grand vide sidéral qui dure 45 minutes, 6 jours sur 7.


Ma résolution, c’est d’en finir avec les listes. Just do it, don’t plan it.

3 févr. 2016

C'est "swag"



« C’est ben swag! », traduction: « cool, hot, chill ». 

Une expression utilisée par mon fils aîné alors qu’il était ado.

Depuis que je fais de l’aquarelle, tout est « swag ». Je regarde le monde autour de moi et je couche mentalement les couleurs mélangées à l’eau pour reproduire…reproduire la poésie, le moment chill au détour d’une route de campagne ou sous un escalier pourri d’une ruelle misérable. Les poteaux d’une clôture posés en travers d’un champ de neige, le triangle sombre d’une montagne bordée d’une ligne de pins drus sur un horizon avec un soupçon d’orange et de rose, un œil et le minuscule picot blanc près de l’iris, là où la lumière cogne. Un graffiti trash orné de quelques mots crachés, slammés.

Swag, c’est bien le mot pour décrire l’infini plaisir qui consiste à faire surgir des volumes : un peu d’eau, une pointe de gris et du rouge, avec parcimonie. Le jaune rattrape la mise, il fait un peu gicler la frénésie que je porte en moi pendant les séances de coloriage.

C’est surtout une leçon pour dompter l’assurance de soi. Accepter que le portrait d’un vieillard finisse en homme lisse. Et vice versa. Créer, c’est déambuler « free », attraper à bras-le-corps la vie autour de soi pour l’animer dans des gribouillis.


C'est ça,"swag".

2 févr. 2016

À quelle heure l'avion pour le pays de la méditation?

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Plage de Nénon, Nouvelle-Calédonie, novembre 2011

« Après ma méditation, j’ai parti une brassée de blanc et je suis allée au Provigo », ai-je  l’occasion d’entendre au cours du laïus des rituels de quelques-unes de mes amies. Je les envie, et ce n’est pas à cause du Provigo.

Quoique…J’aime bien Provigo parce que je fais toujours un détour par Joe Fresh. Sans jamais rien acheter.

Le gros mot glissé dans nos brefs bavardages, c’est « méditation ». Grande cravate de sable blanc léchée par des vaguelettes ondoyantes. Mandala au cœur hypnotique. Rayons de soleil radioactifs sur une peau blême d’hiver. Bruissement de feuilles et caresse d’une brise au passage.

La méditation, c’est un pays étranger qui m’excite. J’ai envie de le visiter. Mais je ne sais pas comment prendre l’avion pour m’y rendre.

Facile! Prends n’importe coucou et tu vas planer!

Petite confidence. Je vous permets d’ébruiter la chose mais ne riez pas de moi.Vous et moi, nous avons besoin de nous calmer le pompon, n’est-ce pas? Et ce n’est pas en prenant une rasade quotidienne d’un bon petit « vin de semaine » qu’on vient à bout de ses problèmes. On m’a suggéré un exercice très simple, « fastoche » comme disent mes cousins français. Quel est cet exercice?

Respirer.  Oui, madame! C’est l’ordonnance d’une amie bienveillante. La barre n’était pas bien haute – autant dire qu’il n’y avait aucun défi – puisque je devais suivre ce régime : UNE minute de respiration , chaque jour.

Wouahhhhh! Une minute!

Et bien, croyez-le ou non, au bout de 3 jours, j’étais déjà un big fail. Incapable de m’arrêter ne serait-ce qu’une minute pour laisser entrer la vie en moi. Y'a un canal qui est cassé?

Pas de panique, je suis une acharnée et après quelques mois (vous avez bien lu…), je réussis mon exercice presque 7 jours sur 7. Ce n’est pas parfait mais je m’apprête à passer en vitesse supérieure pour faire de la….méditation! Un défi n’attend pas l’autre, retenez-moi quelqu’un.

Ouf! Je suis une funambule qui n’a pas peur d’aller se dépayser en empruntant au hasard des ponts suspendus au dessus de profondes voies intérieures. Je suis une bête qui n'a pas peur des changements, à 50 ans.

J’ai presque une semaine de « je me la médite solide » derrière la cravate. Une cravate de sable blanc léchée par des vaguelettes ondoyantes, évidemment!

Si vous êtes débutants comme moi, il y a un coucou sur le tarmac quelque part qui vous attend.


On plane? On plane.

Suggestion d'une gentille gourou inspirante si vous êtes fous et inspirés par la beauté de la vie: Katerine Brisebois

https://www.facebook.com/yoganistakaterine/?fref=tstille

29 janv. 2016

QUI VEUT PEUT



Mais il faut vraiment vouloir.

« JE VAIS ÉCRIRE UN LIVRE SUR LE CANCER! ». C’est une phrase que je régurgite depuis plusieurs mois. Un vœu? Plutôt un gratteux qu’on scratche avec frénésie pour finalement s’apercevoir que rien ne s’obtient avec une formule creuse, avec des « paroles, paroles, paroles » comme le susurrait Dalida.

Désirer, c’est une intention molle.  Un item dans une longue liste ou  « JE VEUX ÉCRIRE » côtoie d’autres nullités comme:

« PRENDRE LA VIE DU BON CÔTÉ »

« FAIRE DE L’EXERCICE »

« RESPIRER » (traduction libre, PRENDRE SON GAZ EGAL)

et, la meilleure :

« NE PAS BOIRE LA TROISIÈME COUPE DE VIN ROUGE »

Dire haut et fort, n’est-ce pas ahaner en donnant de grands coups d’épée dans l’eau? Et moi, je brame à m’en taper sur les nerfs.  Réflexion faite, agir en silence est plus approprié pour apposer un gigantissime « Check » sur la liste des vœux pieux.

Reformulons la phrase déclarative.

En fait, je VEUX écrire un livre sur une expérience que j’ai vécue, le cancer.

Une autre histoire sur le Big C? Permettez-moi de joindre le lot des « m’as-tu-vu » qui ont soif de partager leur petite ou grande histoire avec cette saloperie de cancer. Oui, un autre livre sur le crabe.

Mon histoire a commencé avec une petite chiure sur le scan d’un radiologue. Une minuscule agglomération de cellules anarchiques. Bref, ce n’était rien mais je me suis tout de même retrouvée au goulag, dans la tranchée, une grenade dégoupillée entre les dents. Tabarnak. Je ne vous vendrai pas le punch si je vous dis que je m’embrouille avec un reliquat de colère. Rien que de l’écrire, je crispe la mâchoire.

Retour à la liste des intentions molles :

« RESPIRE ».

Lorsque je lance à la ronde que je veux écrire un livre sur le cancer, il y a un sous-texte. Je veux régler des comptes avec MON cancer, pas LE cancer.
Je me suis retrouvée dénudée tout au long de la maladie. J’ai flirté avec la dépression. C’est bien beau la guérison mais qu’est-ce qu’on fait quand on chope le mal de vivre?

J’ai raconté mon histoire dans ce blogue. Dans les soupers de filles, lors d’une conférence devant 600 femmes. Bla-bla-bla. Chante, Dalida.

Et ce papier, pour me commettre à nouveau.

Je vais écrire un livre sur mon histoire au cours de laquelle j’ai nourri une haine profonde envers mon ennemi juré, le cancer. Point à la ligne.

Ceci était le prologue.

La suite? Et bien la suite s’en vient.

Mon amie Louise, la comédienne-que-la-vie-a-forcé-à-devenir-pragmatique-par-manque-de-contrat, m’a posé la question suivante :

« Est-ce que tu as un plan pour ton projet d’écriture? »


Euh….non. pas de plan. Juste un char de bonne volonté.

30 avr. 2014

Une boîtes, deux boîtes, trois boîtes, une vie


 
Je tiens dans ma main une roche grosse comme un muffin.  C’est un caillou piqué sur une plage du nord du Maine à Mount Desert Island il y a de ça très longtemps.  Cette roche m’a suivie dans tous mes déménagements.  Je l’ai même apportée au bout du monde en Nouvelle-Calédonie.  Et  moi que me targue de voyager léger…
Pourquoi s’empêtrer d’une roche?  Elle n’a rien de spécial.  Elle ne brille pas.  Elle ne sert pas d’écrin à un insecte de la préhistoire ou à un coquillage antique emprisonné dans son ciment.  Il m’arrive de la passer sous l’eau pour lui redonner un peu de lustre mais elle retrouve bien vite son gris grisaille.  Son gris horizon lointain.
Je voyage comme ça, avec des petits bouts de ma vie que je traîne au fond de mes poches.  D’une maison à une autre, d’un pays à un autre. Notre nouvelle demeure sur la rue des Cèdres n’est qu’une destination.  La roche est là, sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.  Je sais bien qu’un jour, je vais tendre la main pour la saisir à nouveau.  Repartir.
Je suis atteinte d’une maladie mais je n’en souffre pas.  Le symptôme?  Une envie subite de prendre mes cliques et mes claques pour me pousser, faire une boîte, deux boîtes, trois boîtes, coucher ma roche entre deux piles de chandails et aller vivre un autre bout de vie.  Ailleurs.
Ceci est la dernière chronique de Gougounes et talons hauts.  Le cycle du pacifique est terminé.  J’espère qu’il en sera de même pour l’épisode Cancer dans les tropiques… Je viens de compléter l’an Un de ma rémission. 
Aussi vrai que la roche qui se trouve au creux de ma main, je m’accroche au bonheur.
J’ouvre un autre chapitre dans un blogue qui s’appelle… Chantale Carignan.  Original comme mes bibelots, n’est-ce pas?
Chantalecarignan.blogspot.ca
Au plaisir de vous retrouver dans ce nouvel espace!
XXX

26 déc. 2013

Pour ou contre Noël?



Peut-on oublier Noël?  

Disparaître dans un abri nucléaire pour éviter le magasinage, les décorations et les partys de bureau?  

Mettre Noël en boîte.  

Désapprendre les rigodons. 

Sauter une année? 

Devenir bouddhiste ou musulman? 

Le petit Jésus doit rire dans sa barbe alors qu’il fait semblant qu’il dort dans la crèche sous l’arbre…

Chez nous, Noël est désormais un projet.  Un chantier pour les traditions.   La soirée canadienne version 2.0.

Des rouleaux printemps en swinguant sur du vieux Elvis. 

Un party à la cabane à sucre.  

Un 25 décembre en pyjama.  

Et la course des poules pas de tête, pieds nus dans la neige…



Du grand n’importe quoi pour se dire l’essentiel :  l’important, c’est la famille, quel que soit le continent, quel que soit l’état de santé, quel que soit le port d’attache du moment.  

22 nov. 2013

Entre là bas et ici, je me reconstruis

Si j’avais à départager entre deux grands plaisirs, celui où j’ai fait l’amour pour la première fois ou celui où j’ai eu mon baptême de l’air en avion, je choisirais sans hésiter l’avion.  C’était un vol pas très glamour reliant Newark et Charlotte en Caroline du nord.  J’allais avoir 18 ans et je me lançais à la découverte du monde comme « foreign exchange student » au pays du Bible Belt.

J’avais le hublot à ma droite et un beau grand norvégien à ma gauche, lui aussi étudiant étranger.  Des yeux bleu-fjord sous ses tifs sombres.  Sorti de nulle part,  il me dit qu’il s’appelle « Arve ».

« A-RA-VA », souffle-t-il, calme comme un loup sur la steppe. 

« A-RA-VA ».  Je répète le mantra en buvant son regard. 

« First time on a plane? », poursuit-il.  Je pige dans mon maigre vocabulaire et réponds succinctement « yes ».  Il prend alors ma main juste avant le décollage. Ses longs doigts frais glissent dans ma paume.  Mon cœur démarre au rythme des turbines et je ferme les yeux, mince voile sur mon air con.  Je sens les roues de l’appareil qui s’ébranlent doucement.  J’ai une tempête dans la tête :  ma vie d’adulte va décoller ici sur cette piste et rien n’est plus excitant en ce moment que le vrombissement sourd des moteurs et cette main devenue incandescente dans la mienne.  Une force invisible me cloue à mon siège.   Un instant nous accélérons et le suivant, plus rien n’existe, nous sommes entre ciel et terre.  Le temps s’arrête et mon existence tout entière se détache sous mes yeux.  Les pièces géantes d’un puzzle apparaissent, découpant les banlieues, la campagne et des filets de plages bordées de mer écumante. 

« Are you okay ? » demande Arve avec un sourire dans les yeux.  Nous volons alors au dessus d’un matelas de nuages.  J’ai envie de lui dire « c’était bon » mais je n’arrive pas à former la phrase jusqu’à mes lèvres.  Je lui sers encore une fois le seul mot qui m’ouvre toutes les portes et je répète « yes » comme une attardée.  Il retire sa main tout doucement avec une infinie précaution.  Notre voyage s’est arrêté à dix milles mètres dans les airs.  Nous sommes retournés dans le confort relatif de nos sièges en classe économique en sirotant chacun un coca.   En arrivant à Charlotte, Arve s’est fondu dans une foule dense à l’aéroport  et je ne l’ai plus jamais revu. 

Pourtant, ce beau norvégien ténébreux m’accompagne toujours, quel que soit l’avion dans n’importe quel coin du monde.   Je conserve un vague souvenir érotique de mon baptême de l’air, la raison pour laquelle je lui dois sûrement cette pulsion de bonheur à chaque décollage. 

Je pense à lui à cet instant même alors que l’agent de bord d’Air New Zealand s’approche de mon siège.  Je viens de célébrer mes quarante-huit ans.   Trente ans se sont écoulés depuis mon baptême de l’air.  Combien de vols ai-je pris depuis, excitée de me lancer vers de nouvelles aventures?  Mais cette fois, c’est bien différent…Mes sens sont en éveil lorsque je perçois les premiers murmures mécaniques de notre grand oiseau de fer qui s’ébroue avant le départ.  Un dernier coup d’œil au hublot : les lumières d’Auckland ne forment plus qu’une dentelle scintillante à l’horizon.  Dommage que la nuit enveloppe cette intrigante terre de feu qu’est la Nouvelle-Zélande.  J’aurais bien aimé repérer un lac fluorescent lové entre les montagnes déchiquetées, hérissées de fougères arborescentes.   Surprendre un géant mythique échappé d’une caverne.  Rire des facéties d’une bande d’elfes volants.  Ou poursuivre simplement mes souvenirs de voyage en dessinant du bout du doigt sur la vitre de mon hublot les routes en lacet qui plongent au cœur d’une nature à la fois sauvage et domestiquée.  Un souffle discret au dessus de mon épaule me fait sursauter.

« Champagne?  Glass of wine? ».  L’agent de bord me couve d’un regard professionnel, prêt à déployer une patience légendaire pendant les 15 prochaines heures.  Je n’ose pas lui dire « both » pour ne pas chiffonner sa bonne humeur.

« Red wine, please » lui dis-je avec mon accent du sud acquis 30 ans plus tôt chez les red neck du sud.  Il opine et s’éclipse.

Le temps de retirer mes chaussures et d’allonger mes jambes sur le strapontin, le verre atterrit entre mes paumes.  Doux plaisir de la première classe.  Je ressens pourtant un vide aussi grand que le Pacifique que nous survolons.  Je quête un regard, je fais le deuil du bienveillant coude-à-coude, je refoule un sanglot, transie par une soudaine nostalgie.  Une gorgée de pinot noir pour égayer mon humeur devenue sombre…

« Would you like a refill? »  Cette fois, une hôtesse au chignon blond a pris le relais.  Je fais fi de mes bonnes résolutions et je me fends d’un faux sourire en sifflant « yes ».  La vérité est dans le vin, disait Platon.  Et bien qu’elle y reste!   Je trinque au temps qui passe et trempe mes lèvres.  Un inconnu de l’autre côté de l’allée capte mon regard embué.  Ses lèvres forment les mots 

« Are you okay? ».  Même si l’homme est moche et gris, mon souvenir le déguise et fait surgir le doux visage d’Arve.  Cette bonté douce comme du miel sur le bout de la langue, je l’ai toujours recherchée.  Elle est d’autant plus touchante dans ce no man’s land aérien, entre ici et là bas, écartelée au milieu de deux continents.  D’un côté,  ma famille, déjà à quelques heures de décalage et de l’autre,  ma nouvelle solitude, grisante et affolante à la fois.  J’ai dit au revoir à mon mari et à mes trois enfants pour la toute première fois.  J’ai lancé des baisers imaginaires comme s’il s’agissait de confettis pour égayer cette rupture larmoyante.  J’ai même esquissé quelques pas de danse pour leur signifier que tout allait bien.  Tapé un message texte crypté de sourires en forme de parenthèses et deux-points.  Bercé mes seins pour les rassurer.  Je cligne des yeux et voilà l’homme tout en interrogation qui me touche du bout des doigts, un pont de sollicitude à travers l’allée.

« Are you okay? » repète-t-il.

“I have cancer.  I’m going to have treatment back home”.  Je suis étonnée par ma propre candeur. 


« I am sure you will be fine », conclut l’inconnu.  Je souris à son clin d’oeil complice.  A-t-il été aussi veinard que moi au loto du crabe?  J’ai tiré le ticket chanceux, un stade préliminaire, un bourgeon vénéneux, une verrue de sorcière, un embryon empoisonné de 8 millimètres, les prémisses d’un mini-calvaire.  Rien de grave.  Je vais chez moi pour me faire soigner.  Pour me soigner.  J’ai une toute petite masse côté cœur.  Pourrait-il en être autrement?  Depuis que je suis adulte, mon désir d’amour a fini par avoir raison de ma santé.  Une main sur l’épaule, des yeux vrillés dans les miens, un souffle sur ma bouche et quelques mots pour m’apaiser.  J’ai pris cet avion cent fois dans mes songes pour rassasier mon trop grand appétit.  Je me suis endormie en rêvant à une main électrisante qui se glisse dans la mienne.  Et je me réveille seule face à un hublot noir.  Où est passé Arve?  Le grand norvégien ne s’est jamais vraiment évanoui.  Il est devenu mon inspiration.  Un étalon de mesure pour le grand amour, celui qui soulage et rassure.  Je prends l’avion.  Je prends des forces.  Tout est possible là haut :  j’invente ma vie, je dicte le protocole de mes traitements, je me bats comme une forcenée et je remporte la victoire.  Une main glissée dans la mienne, un regard de braise, des lèvres qui forment les mots d’encouragement, une légère touche sur mon épaule.  Un gobelet d’eau dans un si grand désert.  Je revis.  J’ai quinze heures pour reprendre des forces.  Une fois l’avion posée, mes forces se seront décuplées.  Et je vais guérir.

6 nov. 2013

La course ou le divan?


Il y a tellement de raison pour ne pas aller courir:  les premières gelées d'automne, un genou qui craque, une ampoule entre deux orteils, un party improvisé, une brassée de lavage, des croûtons à l'ail à "broil", un Ipod à plat, un moral à plat, un début de rhume, un ouvrier sur le point de venir poser des tringles de rideaux, une paire de gants introuvables, un divan trop invitant...

Et les raisons pour courir?  Pourquoi allez se casser les béquilles sur un trottoirs, les fesses moulées dans un vieux legging pelé?

Suivez le conseil de M. Prescott qui va bientôt célébrer ses 80 ans et qui s'est prescrit une remède infaillible:  10 km de course, 3 fois par semaine.  

" Si ça vous tente, allez-y.  Si ça vous tente pas, allez-y quand même!"

Vu comme ça, ça semble logique.  J'y vais!

26 oct. 2013

Souvenirs de vacances

Premiers flocons ce matin.  Ah, les souvenirs de vacances semblent déjà si loin...Et pourtant!  C'était hier que nous prenions un bain de soleil sur notre terrasse en sirotant un bon blanc frais.
Coup d'oeil sur mon album photo:


23 oct. 2013

Dans le tiroir à poèmes

Trois-Rivières est une ville de contradictions.  Entre les cheminées de ses papetières crachant avec lassitude une fumée ocre, il y a un festival qui fleurit curieusement à l'automne: la poésie.
Ronds de jambes avec les mots, griffures mordorées des poètes transis de tragédies, soirées doucereuses où sont célébrées des messes d'esprit.  La poésie part en cavale dans les cafés, bistrots, troquets...J'ai moi-même déclamé quelques vers saugrenus d'un clown inoubliable, Sol.  C'était "stradinaire".

En fouillant dans mon propre tiroir à poèmes et j'ai retrouvé quelques écrits.  Des strophes tragiques sur le mal de vivre....Quelle agonie que d'avoir 20 ans!  Mais j'ai tout de même laissé échapper des envolées moins saignantes.  J'écrivais alors en anglais....C'était ma phase anglo dans les cantons de l'est.

The love letter

I got a letter
Smudged with the passion 
Of a mysterious lover.

The blue sheet of paper
Had been ardently sprinkled
with a million bits of his furor.

The way he had poured all those words!
Dripping with lust, loaded with devotion...
Words of an impetuous Romeo!

His fierce infatuation had an endless tone:
"Forever, forever, forever, my delicate fairy".
I could almost feel those forevers
Blown in the hollow of my nape.

His impassioned speech
Was like a symphony
Exhalting my own beauty.

He had blurred love
Into a sublime literary arabesque!
He was a master!

A master whose name
Unfortunately happened to be
"Your devoted admirer"...

(23 octobre 1985)


Letter to my english teacher

"Tranquil as an apple" was the poetic expression
Which fascinated you the most
And I have always wondered
If this rather pure and simple simile
Happened to be the almighty principle governing your life.

And that coffee cup with the naive landscape painted on it...
Have you ever indulged yourself a reverie
In which you were a glittering fairy
Walking on a corning ware path through the green pastures?

What king of thoughts
Blossom under these soft curly locks
That throw a faint shadow over your jolly forehead?

Instead of doodling my boredom away,
I keep rummaging through my mind 
And growing an infinite number of queries.
That's why I have been wondering about you
And your dreams.
I have been wondering so many times if you were like me.

Miss, are you like me?
A woman struggling to be a woman
With the social imperatives gnawing at your bones,
Having to comply to the dazzling-shrewd-and-thin ideal?

This damned didactic world!
It forces you to stuff yourself with nothing but your will
To become the unattainable woman of the eighties
While psychiatrists
Sleep on a full belly.

(6 décembre 1985)


Politicians

A refined race of liars
With a mouthful of words...
Contemporary gladiators
Risking life and dignity
For the sake of a colour:
Red, blue, green
Spin the wheel
Or read the results
Of the last Gallup poll.
You may even vote!
We do need someone
To keep up the sophisticated illusions.
We do need someone
To mail the bill.

(5 décembre 1985)

10 sept. 2013

Dire tout haut qu'on a pleuré en silence

On m'a demandé d'être la présidente d'honneur d'un événement bénéfice pour le fonds Francine-Lachance.  J'espère un jour arriver à la cheville de cette grande trifluvienne qui a mordu dans la vie jusqu'à la fin tout en jetant les bases d'un mouvement de solidarité entre les gens d'affaires de ma région.  

Voici mon message à l'occasion du défilé mode au Carlito:



C’est un jour comme un autre.  Vous faites votre jogging en jouant à la marelle sur les flaques de soleil. 

Vous embrassez vos enfants, ivre de fierté et d’amour.

Vous enlacez votre amoureux, une vieille habitude qui révèle une fois de plus la petite flamme qui brûle toujours en vous.

Vous parlez de bonheur comme on discute de la météo :  avec ses hauts et ses bas.

Vous faites des projets comme on construit des autoroutes, avec un plan en main et l’idée de faire en grand.

Vous allez vite, évidemment.  Pressée de vivre.  Obligée de tout faire en même temps.

Et lorsqu’on vous demande  si vous êtes heureux, vous ne prenez même pas la peine d’y penser.  Vous dites tout de suite…Bien sûr!  Regarde moi, j’ai tout ce que je désire.  Je flotte.

Jusqu’au jour où l’enclume vous tombe sur la tête. 

On vous dit « cancer » et vous comprenez « galère ». 

Ce n’est pas la fin du monde mais le monde tel que vous le connaissez ne sera jamais plus le même.  C’est du moins ce que vous apprendrez au fil des jours de cette aventure tortueuse.

Les médecins félicitent votre chance :  c’est un stade 1, une puissante gifle qui va vous coucher pendant quelques semaines, voire quelques mois mais vous vous en sortirez.

Vous n’allez pas mourir.  La vague de fonds du tsunami ne va pas vous engloutir.

Mais elle va balayer vos croyances les plus profondes.  Faire germer en vous un mal de vivre,  une angoisse sombre et des humeurs toxiques sur fond de jours gris. Vous traverserez un mois de février glacial qui ne semblera jamais se finir. 

Heureusement, il y a un bout à tout, même à l’éternité. 

Mars arrive enfin.  L’ombre d’un timide printemps colore les jours.  Telle une marmotte endolorie, vous sortez de votre terrier.

Un jour, vous vous essoufflez en attachant vos souliers.  Et le suivant, vous voilà en train de courir.

Dans ce grand corps malade, une femme se réveille.  Plus rien ne sera comme avant alors mieux vaut faire connaissance avec cette étrangère.

Un peu de rose sur les lèvres, un trait de crayon sur les paupières que l’on trace comme un symbole sur la peau d’une guerrière. 

En passant une main sur le duvet naissant de votre crâne, une évidence:  cette femme qui renaît, c’est moi.

Mon nom est Chantale Carignan.  Je fais partie désormais partie des statistiques du cancer.  Je ne suis pas la seule, mon mari aussi est passé par là.

A travers les larmes, j’ai appris à goûter à la douceur des petits et des grands bonheurs.  Un goût de sel et de miel.

J’ai fait du moment présent mon pain quotidien. 

Et les projets en forme d’autoroute?   Ma famille vous le dira :  rouler en Westfalia sur une petite route tranquille, c’est déjà le début de l’aventure.  Dans toute cette histoire, ils sont devenus mes héros. 


Autoroute ou chemin caillouteux, l’important c’est de regarder droit devant.

4 sept. 2013

Certaines vies se tricotent, d'autres s'effilochent.

Au fil des promenades, je note les petits bouts de vie de mes voisins.  A deux maisons de chez moi, les fleurs sur le parterre velouté vert ne sont pas encore fanées.   Pas un brin d’herbe qui retrousse, zéro cra-cra sur l’asphalte noire foncée de l’entrée, pas de traînasse ni de ti-bout de boyau d’arrosage échappé d’un buisson.  S’il y avait des nains de jardin, ils seraient au garde-à-vous.  Cette voisine-là aime forcément le jardinage…

Et l’autre 100 mètres plus loin…ouf, pas de médaille pour le concours des parterres fleuris mais une mention « pur bonheur » avec la poussette garée dans le driveway.  Je décode ici que les enfants dictent une série de priorités et pomponner les talus de fleurs est loin d'en faire partie dans cette famille.

Il y a aussi ce marcheur qui passe dix, vingt, trente fois sur mon bout de rue.  Un grand homme au dos vaguement voûté que l’on devine torturé par la maladie mentale.  Il se soigne en avalant les kilomètres d’un pas fébrile.  J’ai croisé une fois ou deux son regard étrange, braqué sur le film de ses propres pensées.  Brrrrr.

Sur la rue de la Pinède, un vieux monsieur qui s’esquinte en poussant sur sa tondeuse.  Pantalon?  Trop grand.  Ceinture?  Élimée.  Sûrement un veuf.  En passant devant chez-lui, il me devance sur le bonjour et pointe mon chien :   "Vous aimé ça vous faire voir avec votre chien?", m’a-t-il demandé.  J’ai du lui faire répéter parce que je n’avais pas trop bien compris…Me faire voir?  Ah bon, peut-être, je n’y avais pas pensé.  "Il a fait ses petits cacas?" Je regarde le sac dans ma main, de plus en plus confuse.  Cette conversation semble tout droit sortie de la pièce Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saïa. 

Et il y a le coin de rue de la famille heureuse.  Papa, maman, trois enfants.  La voie publique est devenue un terrain de jeu.  La plus jeune s’étend comme une crêpe, insouciante du trafic.  Pas grand danger, il passe un char au demi-heure…La corde à danser est attachée au poteau du basket qui remplace un bras lorsqu’il manque de monde pour faire tourner la corde.  J’aime les cris surexcités qui s’échappent de la maison.  Je devine le papa et/ou la maman en faux zombie attrapant aveuglément le premier rejeton pour lui donner des becs de bédaine.

Mes voisins sont comme ils sont :  esseulés, vigoureux, perfectionnistes, débordés mais rarement sans histoire.

Quelques-uns, plus rares, vivent des drames lancinants qui s’écrivent avec des ellipses.  C’est du moins ce que je constate au détour d’un jogging alors que je croise un monument.  Le monument de Cédrika…Je m’arrête et pose ma main sur la pierre froide.  Rappel sur un été angoissant, l’été où nous avons tous serré nos enfants dans nos bras avec les yeux dans l’eau et la tête remplie d’horreur.  Quelques rosiers laissent échapper une fleur.  Je ne sais pas pourquoi mais j’imagine plutôt des larmes rouge sang.  Ce monument nu, face à la rivière St-Maurice, m’attriste profondément.  Sous ce granit, le courage d’une famille mais aussi l’oubli de tout un quartier.  C’est choquant. 
Si vous passez devant la plaque commémorant le triste jour de la disparition de Cédrika, vous verrez des chrysanthèmes.  C’est moi qui les a mis là.  Partout je vois les signes de la vie qui défile alors qu’ici, tout autour de ce beau monument, c’est l’amnésie. 


Avec ce simple pot de fleurs glissé contre la mortaise, je veux simplement dire que cette vie-là non plus nous ne l’oublierons pas.


22 août 2013

To like or not to like


“Maman, pourquoi est-ce que je n’ai pas beaucoup de “like” sur mes photos de profil?”. 

Princesse des îles scrute le désert sur son mur.  La grande famine.  Si peu d’amour…  Comment se fait-il qu’on te « like » avec autant de parcimonie?  On saupoudre ici et là mais c’est timide, cet élan de dévotion.

Alors à cette grande question existentielle,  «  Miroir, Miroir, dis-moi qui me like? », voici ce que je te réponds.

Si le fan club se limite aux vrais amis, il y a de l’eau dans le gaz, tu as raison ma chérie.  Pourquoi ne pas accrocher quelques articles sommaires à ta carte d’identité virtuelle?  La petite moue bouchonnée, le fameux « bec de canard » (duck face), devrait en principe susciter une première vague de clics sur « J’aime »… Mais c’est la base, n’est-ce pas?  Alors pourquoi s’arrêter là?  


Mets-toi dans la peau d’un vendeur de pub et tartine un peu de gloss sur la photo du Big Mac.  Le mot clé?  Tu dois te rendre gourmande!   Le bikini fluo avec un décor de mer, un baiser soufflé comme une bulle de savon, un clin d’œil coquin, une main manucurée posée sur la hanche avec des toiles de Dali sur chacun des ongles et tu auras une explosion.  Like LIKE LIKE!!!!!

Nous venons d’atteindre 50 « like » et ce n’est peut-être pas encore assez… Si tu veux le feu d’artifice de l’International Loto Québec, fais semblant d’embrasser ta meilleure amie.  Quoi?  Tu me demandes c’est quoi une meilleure amie?  Hummm….Ah oui!  Je me souviens du code, une BFF.  Bon, voilà, tu as tout compris.  Tu n’es pas lesbienne?  Mais ce n’est pas grave ma chérie!  On est en plein modelage narcissique alors s’il te plaît, ne m’interromps pas!

Si après tout ça, tu n’as pas enflammé le baromètre des « like », il y a des moyens, disons….plus laborieux.  Laborieux, c'est quoi? Il faut que tu t’y mettes, c’est du boulot pas rémunéré alors cramponne toi à ton Mac Book, on va galérer ensemble pendant de longues heures.

Scrute tes statuts, une bête avec un appétit vorace que tu dois alimenter en étant plus ingénue/poétique/humoriste que les autres.  N’oublie pas que nous sommes plus d’un milliard d’utilisateurs Facebook alors oui, j’avoue, la barre est haute.  Et ça ne ferait pas de mal si tu pouvais écrire de temps en temps en anglais même si ton niveau est plutôt… Plutôt bon.  Tu es une enfant extraordinaire, il ne faut jamais en douter même si tu te sens un peu dans la cocotte-minute avec toute cette pression.

La suite est tordue mais aux grands maux les grands moyens.   Bricole-toi des profils pastiches et va te « liker » toi-même.  Je sais, ce n’est pas bien d’aller doper ton propre profil mais à la guerre comme à la guerre.  C’est juste une expression, ne t’en fais pas.

Quoi? Après tout ça, tu n’auras pas le temps de te consacrer à notre réussite scolaire?  Mais tu sais bien comment ta maman chérie y tient…Et puis, pense à tous ces « like » qui te rempliront de bonheur… Mais non, ma puce: Facebook n’est pas une prison!  C'est un buffet à volonté où tu nourris ton estime.  

Tu me demandes quoi encore...?  Bien sûr que je te like!  Allez, fais du vent, y'a du travail!


21 août 2013

Mes étés

Il y a eu l’été de mes 7 ans, celui où j’ai vu mon grand-père en bédaine besogner en pleine canicule pour bâtir notre maison avec mon père.  Ce n’était plus une jeunesse mais il pouvait encore enfoncer un clou en moins de 3 coups.  Han-han!

C’était l’été de la liberté.  Fini le village et ses trottoirs qui étouffaient les pissenlits entre les craques.  Je déménageais en « banlieue » avec en prime, la lisière d’un petit bois.  Nous n’avions pas de piscine alors c’est là que j’allais me réfugier prendre un bain de fraîcheur.

Il y a aussi eu l’été des Olympiques de Montréal. Je traînais devant la télé mon envie de devenir une athlète de haut niveau.  Je simulais dans la pelouse  les sauts en hauteur du canadien Greg Joy.  Je saluais la foule en cambrant les reins comme Nadia Comaneci.  Je chantais « je t’aime, yes I love you » en baragouinant la suite dans une cacophonie de syllabes gutturales.

L’été du premier amour.  Son regard a éveillé des papillons voletant entre la tête et le bedon.  Tous les étés suivant n’ont jamais effacé le souvenir sublime de son baiser, un échange chaleur/fraîcheur bien dosé, ferme et pas trop moite.  Et sa main brûlante sur ma peau.

Quelques étés plus sombres: celui du premier chagrin amoureux.  Comme une déchirure au ventre.  L’été de ma fausse-couche, quelques années plus tard, aura le même effet de brique au visage.

1996: l’été des premières fraises cueillies par mon fils.  Sa bouche gourmande, ses bisous odorants, ses petits doigts maladroits tirant sur les fruits.  Le jus rouge sur le bout de son menton.

Quelle belle saison pour les traditions!  Elles déferlent comme les vagues de Cape May, tonitruantes et trop brèves, excitantes :  les vacances à la mer en famille, les ventes de garage, le pique-nique aux moustiques dans les cascades au Parc de la Mauricie, les garden parties bien arrosés, les feux de joie au camping du mont Ham-sud, les histoires de grenouilles et de couleuvres, le jogging dans la rosée du matin.

Il y a trois ans, nous avons vécu l’ultime été, celui de nos au revoir avant le départ pour la Nouvelle-Calédonie.  La veille de notre long vol, nous avons marché dans notre maison vide et jeté un coup d’œil sur nos dix valises.  C’était donc ça le lâcher-prise?  Quelle vertigineuse sensation…

Puis, nos étés se sont effacés au profit d’un climat tempéré.  Toujours beau, toujours chaud.  Quelques petits matins frisquets pour nos pauvres corps si rapidement tropicalisés.


Vous comprendrez l’émerveillement que je ressens en renouant avec la belle saison.   C’est un été généreux parce que je retrouve ma santé.  Après un hiver où je me suis sentie comme une prisonnière en Sibérie, la tête pelée, hébétée par la chimio, sonnée à cause de cette impression d'être soumise à une attaque au napalm dans mon corps, me voilà gorgée de rayons de soleil. 

J’ai planté des fines herbes en pot pour donner l’odeur de l’été à tous mes plats.  Trinqué au dessus d’une montagne de homards en mai.  J’ai volontairement régressé en trahissant un plaisir coupable, la poutine…Repris deux fois de la pouding aux bleuets bio chez mon amie Sophie.  Je suis allée manger mes émotions en faisant craquer le chocolat noir sur une crème molle.  Pris des déjeunes sur le pouce en ingurgitant des smoothies fait maison sur le chemin du travail. 

Parce que oui, cet été, j’ai repris le travail.  Le BONHEUR!  Un micro, des complices, l’étincelle qui jaillit parfois au fil d’une entrevue bien torchée.  Bien sûr, je me suis retrouvée avec des mots coincés dans la bouche de temps en temps mais tout ça finissait par un grand éclat de rire et on recommence, voilà tout! 


Définitivement, je n’oublierai jamais l’été 2013.  L’été où je me sens renaître dans mon corps de quinquagénaire.  Toujours aussi avide des plaisirs glanés, des souvenirs un peu fanés.  Bousculée par la vie mais heureuse d’être là pour vous en parler.

8 août 2013

À un cheveu du désespoir

Un brushing, une coupe, des mèches, une teinture, des rallonges.

En chignon savamment négligé, lissés, frisés, en lulus ou en queue de cheval.

Les cheveux sont les continents où se réfugient toutes nos extravagances.

Visez ces crinières chatoyantes, luxuriantes comme une forêt amazonienne, des tignasses qui chatouillent le désir des hommes et provoquent parfois même des embouteillages. 

Déchiffrez le baromètre de nos humeurs, le « Bad hair day  » et vous saurez décliner l’état mental de toutes celles qui sont si tristes que même leurs cheveux se déglinguent. 

Évitez celles qui ont la mèche courte, pompées pour un oui ou pour un non.  

Traversez le temps en reluquant les quinquagénaires nostalgiques qui ont gardé le même style depuis qu’elles ont 16 ans.

Admirez la main amoureuse de l’homme qui plongent dans la chevelure de celle qu’il aime.

Ou cette autre qui torture une mèche en l’enroulant comme une bobine du bout d’un doigt.

Un mohawk de punk, un toupet bleu stroumph, une permanente  bouclée serrée. 

La féminité se chante sur des notes bien différentes.

Et moi, j’ai vécu l’automne pendant lequel les couleurs d’un arc-en-ciel allumé en permanence dans mon firmament sont mortes les unes après les autres. 

La chimiothérapie a tué mes cheveux lentement mais sûrement.  Fini l’effusion des mèches folles.  Mon visage s’est auréolé d’un balai rêche.

Femme-marguerite, je prenais de petites couettes et je m’effeuillais dans un silence troublant.  J’ai même fait peur à ma filleule en lui tendant un petit bouquet de crins.

Puis un jour, on a tout rasé.  J’avais encore heureusement mes seins avec l’infime marque d’une griffe, celle du cancer.  Mais je n’avais plus de cheveux. 

Et  je me suis vue disparaître. 

Combien de fois ai-je fait sursauter les gens autour de moi en retirant ma tuque?  Un soupçon de peur indicible passait alors comme un nuage que je chassais avec un grand rire.  « Cancer! »,  disais-je en pointant mon drôle de « hairdo ».  « Je vais bien! », rajoutais-je comme pour écarter le voile de la mort qui flottait encore. 

Je me revois, triste comme une prisonnière en Sibérie, abreuvant le lavabo d’une crise de larmes digne des chutes Niagara.  Je faisais peur au monde…N’est-ce pas là la plus grande pénitence d’une femme à l’égo gavé au fil des années?

Pendant cette longue traversée du désert, je n’ai cependant jamais cessé de m’aimer.  Je me suis promis de revenir plus forte et moins obsédée par mon image. 

J'ai même échangé de fermes poignées de mains après des entretiens professionnels pour me retrouver un emploi.  Power kit et crâne rasé...Je ne saurais vous dire l'effet sur les employeurs potentiels!


Mes cheveux ont repoussé.  Je les aime comme ils sont :  courts et retroussés, doux comme le lichen qui envahit les pierres.  Ma routine-beauté ne doit pas excéder 5 minutes top chrono.  Mais mon sourire lui doit reluire longtemps, autant que mes robes à paillettes.  C’est l’éclat de la vie qui m’anime, l’appétit vorace qui j’espère ne que quittera plus jamais.